Jambes de bottes

"Jambes de bottes" ( bootleg), chaises en plastiques, cadre de scooter, moules en bois d'aciérie, cellule platine vinyl,

installation sonore. Villa Arson, 2014.

Collaboration avec Vivien Roubaud et Thomas Teurlai.

 

Entretiens réalisé par Guillaume Mansart

 

Une sculpture dystopique

 

 

Réunis à l'occasion de l'exposition From & to, Diane Blondeau, Vivien Roubaud et Thomas Teurlai ont engagé un travail collectif afin de produire Jambe de botte. Cette sculpture de plastique fondu au lance-flammes catalyse les énergies, combinant le volume et le son, elle évoque la mémoire à travers les matériaux, mais s'attaque aussi avec force à l'espace d'exposition.

 

 

Guillaume Mansart : C’est la première fois que vous travailliez ensemble, ici, vous faites une proposition de production partagée. En quoi cette dynamique collective a-t-elle été importante  ?

 

Diane Blondeau, Vivien Roubaud et Thomas Teurlai : L'idée à la base du projet «  From & to  », c'était un échange collaboratif entre des jeunes artistes français et italiens. Mais les ambitions et les emplois du temps de chacun ne se sont pas forcément rencontrés. Tous les trois, nous nous connaissions déjà, nous nous entendons bien et nous vivions plus ou moins au même endroit. Après plusieurs collaborations chacun de notre coté, nous étions conscients de l’intérêt que cela représente en matière d’énergies, de force de travail et de lâcher prise. Chacun avait des idées intéressantes mais un peu statiques, isolées. On à commencer à expérimenter et le travail s’est mis en route.

 

 

G.M. :Au-delà de l'émulation intellectuelle, on sent que cette logique collective trouve aussi une efficience dans la question de la production. Dans l'étape de réalisation de l'œuvre on peut déjà lire une logique d'organisation propre...

 

D.B,V.R.,T.T. : C’est quelque chose qui traine dans nos pratiques comme dans celles de pas mal d’artistes de notre génération, depuis un moment. D’abord par pur pragmatisme  : comment réalise-t-on quelque chose avec peu de moyen ? Comment peut-on créer des formes qui s’approchent des circuits traditionnels de production, qu’ils soient artistiques ou industriels? En inventant nos outils, en singeant les processus «  classiques  », en faisant avec ce que l’on a sous la main, des scooters volés, des usines abandonnées, des chaises au rebut. À l’arrivée, peut-être que le travail semble «  s’affirmer contre les logiques traditionnelles  », mais c’est plus par défaut qu’autre chose  ! C'est un défaut qui devient une qualité.

 

 

G.M. : Que signifie le titre Jambe de botte  ?

 

D.B,V.R.,T.T. : C’est la traduction littérale de «  bootleg  », un terme anglais qui désigne les enregistrements pirates de concerts ou de studio. Le terme désigne aussi l'art du «  turntablisme  » qui consiste à construire un seul morceau de musique à partir de plusieurs. Jambe de botte faisait un titre informe, comme du plastique fondu.

 

 

G.M. : Pour la réalisation de cette pièce, vous avez testé plusieurs types de matériaux, pour au final vous arrêtez sur du plastique provenant de chaises de jardin fondues. Il y a une forme d'ironie dans le fait de transformer des chaises en plastique en sorte «  sculpture missile  ». Pourquoi ce matériau s'est-il imposé  ? Sa dimension symbolique a-t-elle déterminé d'une quelconque manière votre choix  ?  

 

D.B,V.R.,T.T. : On en revient aux circuits de productions et au pragmatisme. Comment une combinaison de gestes simples peuvent «  faire image  ». Nous avons testé de manière très empirique des centaines de combinaisons, de matériaux, d’alliages. Puis nous avons pris un transat, nous l'avons brûlé au lance-flammes, et le résultat était parfait. Un plastique doux comme du chewing-gum, qui prenait avec précision les détails et qui avait l'avantage d'être dans le même temps solide. Nous travaillions sur la Côte d’Azur, les décharges sont pleines de ce type de mobilier. Nous avions conscience de renvoyer les travers dystopiques de cet étrange endroit qui, dégagé du côté glamour du soleil et des palmiers, sent la crème solaire bon marché, le caniche fondu et la violence sociale.

 

 

G.M. : Comment les formes des différentes sculptures ont-elles été créées  ?

 

D.B,V.R.,T.T. : Nous avons aligné des moules trouvés dans une fonderie de pièces de trains abandonnée, de manière à pouvoir créer des cylindres que l’on pourrait faire tourner comme des phonographes. Nous avons coulé le plastique et d'un coup nous avions des missiles SCUD.

 

 

G.M. : Pourriez vous expliciter la notion d’  «  archéo-accoustique  » qui est à l’origine de votre projet?

 

D.B,V.R.,T.T. : C’est une discipline assez obscure qui se situe entre l’acoustique, l’archéologie et le charlatanisme, et qui entend retrouver des enregistrements sonores pré-Edison à travers des empreintes sonores qui auraient été enregistrées accidentellement sur différents types d'objets. Puisque le son est une vibration, il peut censément s'inscrire sur les supports avec lesquels il entre en contact. Et avec les outils appropriés (mais c’est là que le bas blesse) on pourrait être en capacité d'entendre une messe carolingienne en mettant le fémur de Pépin le Bref dans un lecteur cassette. Entre le fantasme et la réalité il y a un fossé. On travaille précisément à cet endroit.

 

 

G.M. : C'est le postulat d'un monde magique qui conserverait toutes les histoires depuis la nuit des temps. Quelle type de récits espériez-vous trouver à travers vos sculptures  ?

 

D.B,V.R.,T.T. : Dans l’industrie, notamment dans le tournage des métaux il existe des pièces dites « vibrées ». Lorsque l’on tourne une pièce mal fixée sur son axe, un micro-sillon s’inscrit avec un déplacement sur la longueur, donc dans le temps. Re-écouter un ouvrier siffloter en tournant le train arrière d’une vielle voiture, ça aurait été intéressant, comme une sorte d'archéologie, un cut-up accidentel.

 

 

G.M. : Les formes des différentes sculptures évoquent un univers plutôt guerrier, à ces formes s'ajoute un son qui installe dans l'espace d'exposition une atmosphère anxiogène. Comment se son est il produit  ?

 

D.B,V.R.,T.T. : Dès le début nous envisagions de créer des formes que l’on pourrait «  jouer  » dans l’espace. Ensuite, tout s’est enchainé de manière très spontanée. Nous nous sommes pas mal épuisés pour créer la chaine de «  montage-gitane  » qui allait produire les formes. Quand on bricole, agir c’est réfléchir, à moins que ça ne soit l’inverse, c'est ce qui rend le bricolage intéressant. Tant et si bien qu’après avoir échoué à graver des micro-sillons de house music, ou à enregistrer les infra-basses cosmiques de l’architecture rejouée en live dolby surround 5.1, nous avons dû nous résoudre, la veille du vernissage à amener les sculptures dans le lieux d’exposition. Une fois qu'elles étaient installées, nous avons pris une tête de lecture que nous avons posé sur un des SCUD rotatif et c’était Fallujah dans le centre d’art. Tautologique à souhait.

 

 

G.M. : Si le détournement d'objets ou de dispositifs et le DIY sont présents dans vos travaux respectifs, j'ai l'impression que la question de la sculpture est assez nouvelle. En effet, on retrouve dans votre pièce des questions «  historiques  » liées à sculpture  : matériologie, volume, techniques de moulage, socle, … Jambe de botte vous permet-elle d'engager de nouveaux champs d'investigation  ?

 

D.B,V.R.,T.T. : On s’est posé des questions simples qui ne sont en rien historiques. Un socle c’est pratique, ça tient à distance et ça évite qu’un SCUD tombe sur quelqu’un. Le plastique c’est plus solide que la margarine, etc… Ce projet nous a surtout confirmé qu'il était indispensable au sein de pratiques et de trajectoires personnelles d’aménager régulièrement ces temps collectifs et de continuer à jouer de débrouille.

 

 

 

Mars 2015

 

 

Projet " Jambes de bottes" , réalisation à La Station, Nice 2014. 

© Diane Blondeau, Vivien Roubaud, Thomas Teurlai.